La symétrie des attentions, une révolution managériale qui reste à mener

Auteur : Brendan Natral
Temps de lecture : 6min
Publié le 07 février 2019

Pas une réunion de professionnels de la relation client sans que la question de la symétrie des attentions ne soit posée ou évoquée, d’une manière ou d’une autre. Dans la profession, tout le monde souscrit de bon gré au principe qui, pour reprendre les mots de l’Académie du Service, veut que « la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique de la qualité de la relation de cette entreprise avec l’ensemble de ses collaborateurs ». Cela paraît tellement évident qu’on se demande bien qui pourrait prétendre le contraire…

1. L’origine de la symétrie des attentions

L’Académie du Service, qui a déposé le syntagme en tant que marque il y a quelques années, n’a pas pour autant inventé la symétrie des attentions. Le concept doit beaucoup, sinon tout, à Vineet Nayar qui l’a imaginé et expérimenté à grande échelle dans le cadre de HCL Technology alors qu’il en était le CEO, à partir de 2005. Il s’agissait pour lui de trouver les ressorts d’une croissance durable dans le secteur alors en plein expansion en Inde, mais aussi de plus en plus concurrentiel des entreprises de services technologiques. C’est de cette expérience que Nayar a rendu rend compte dans « Employees First, Customers Second: Turning Conventional Management Upside Down » – un ouvrage qui a fait beaucoup de bruit dès sa sortie en 2010 dans le monde des RH et plus largement du management, y compris en France où HEC, en la personne de Charles-Henri Besseyre des Horts, s’en est fait l’ardent promoteur. Le titre, volontairement provocateur, « les employés d’abord, les clients ensuite » était on ne peut mieux trouvé pour attirer l’attention et réveiller la réflexion académique et managériale.

Pour éviter les malentendus et expliquer pourquoi l’idée de symétrie des attentions a trouvé un tel écho dans les métiers de la relation client, il faut se référer aux propos de Vineet Nayar lui-même :

« La sagesse traditionnelle, bien sûr, impose aux entreprises de toujours faire passer le client avant tout. Pourtant, dans toute industrie de services, la vraie valeur est créée dans l’interaction des employés avec le client. En privilégiant les employés, un changement fondamental peut être amené dans la manière dont une entreprise fournit une valeur unique à ses clients. »

On comprend mieux dès lors pourquoi l’Académie du Service présente la symétrie des attentions comme « le plus grand défi du management et de la relation client ».

2. Une révolution, d’abord pour le management

Le processus de transformation que Vineet Nayar a impulsé chez HCL a inversé la hiérarchie traditionnelle du management, en plaçant les employés en tête des priorités de l’entreprise. Il s’agit en réalité d’une transformation stratégique qui, de fait, percute en premier lieu le management en « s’attaquant » à ses prérogatives au profit de l’émergence d’un leadership de masse, aux mains des employés. Cette transformation repose sur quatre principes, somme toute classiques, ce qui ne préjuge pas de la difficulté à les mettre en application :

  • analyse des forces et faiblesses de l’entreprise,
  • création d’une culture de confiance reposant sur la transparence,
  • responsabilisation des employés de la zone de valeur (ceux en contact avec la clientèle) au même titre que le management ou d’autres fonctions stratégiques (telles que les ressources humaines)
  • décentralisation des processus de prise de décision.

Grâce à la mise en œuvre de ces principes, HCL Technologies a triplé ses recettes et son bénéfice d’exploitation en moins de 4 ans. Le nombre de clients a été multiplié par 5. Parallèlement, la satisfaction des employés s’est accrue de 70% et le chiffre d’affaire de HCL a augmenté de 20% malgré la récession économique mondiale (2008-2009), ce qui a permis à l’entreprise de créer 1 500 nouveaux emplois dans le monde. Si je cite ces résultats exemplaires, c’est pour souligner que la symétrie des attentions n’est pas une sorte de cerise qu’on ajoute au-dessus de n’importe quel gâteau : c’est un changement complet dans la manière de faire le gâteau lui-même dans le monde des services B2B et aujourd’hui, non sans difficulté, dans l’industrie de la relation B2C.

 

3. La satisfaction des employés, moteur ou conséquence ?

Aujourd’hui, la mise en œuvre de la symétrie des attentions est revendiquée par toutes les entreprises qui cherchent à se différencier par la qualité de service au client. Je cite pour mémoire les 5 principes que L’Académie du Service met en avant et qui tous renvoient peu ou prou à la satisfaction des employés, pendant de la satisfaction des clients – laquelle reste l’objectif :

  1. Le pari de l’intelligence
  2. La valorisation des personnes et de leur métier
  3. La réconciliation de l’exigence sans concession et du bien-être au travail
  4. Le droit à l’initiative 
  5. Le droit à l’erreur, l’objectif étant de tendre vers 100 % de clients satisfaits et non vers le zéro défaut

On comprend entre les lignes qu’il est impossible, si l’on prétend faire de la satisfaction des employés un moteur de réussite, d’en rester à l’affichage et aux déclarations d’intention… Si je me réjouis que ces principes soient adoptés par un nombre croissant de responsables de la relation client, si je me réjouis également de les voir reconnaître la contribution des outils de gestion de la relation client que nous développons à l’amélioration de l’expérience collaborateur, je reste sur deux interrogations :

  • Pourquoi la satisfaction des conseillers est-elle moins mesurée que la satisfaction client ? Dans une démarche de symétrie des attentions, cela me paraît illogique. D’après notre Baromètre des KPIs des Services Clients 2018seulement 43 % des organisations de service client mesurent la satisfaction de leurs conseillers. Je note cependant que cette pratique est 2,5 fois plus développée dans les grandes organisations que dans les petites.

[pourcentage d’organisations mesurant la satisfaction des conseillers client]

  • Le lien du lien entre satisfaction des conseillers et satisfaction client est-il si évident que cela ? Pas si j’en crois ce que déclarait Christophe Benavent lors de notre événement de juin 2018 :

« on a des centaines d’études sur le sujet. On a fait des méta-analyses dessus : on a pris des dizaines d’études et on a calculé la corrélation moyenne entre la satisfaction des employés et la satisfaction des clients. En moyenne, la corrélation est de 0,26. Si on arrondit à 0,3, cela veut dire que la part de variance de la satisfaction client expliquée par la satisfaction des employés est de moins de 10 %. En fait le lien est extrêmement ténu. La contribution de la satisfaction des employés est certaine, mais elle est faible… »

Je veux y voir la preuve que l’excellence de l’exécution et des produits est beaucoup moins marginale que certains se plaisent à le dire…  Qu’en pensez-vous ?