A l'occasion de la sortie du Baromètre des KPIs de la Relation Client, édition 2020, nous avons pu échanger avec Marie-Louis Jullien, délégué général de l'Amarc (Association pour le MAnagement de la Réclamation Client). Partenaire de longue date, notamment sur la construction des trois dernières éditions du baromètre, rendre ici compte de sa vision actuelle de la relation client est une occasion qui ne se manque pas !
Retrouvez également une version de cet interview intégrée au Baromètre des KPIs de la Relation Client 2020 !
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Marie-Louis, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Délégué général de l’AMARC, j’anime une association dont la vocation est de réunir et accompagner des acteurs de la relation client dans leur management de la réclamation client.
Initiée en 2004, cette aventure réunit 300 entreprises conscientes que la réclamation peut être un puissant levier au service de l’innovation, de la performance financière et de la transformation des entreprises. Notre slogan résume assez bien cette volonté : transformer le pépin en pépite !
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Un mot sur l'AMARC et sa relation client ?
Pour aller au-delà de son slogan, l’AMARC organise différentes activités et services pour répondre aux besoins de ses membres, dans une atmosphère presque familiale : conventions thématiques pour explorer des tendances, clubs métiers pour partager ses pratiques, études pour se benchmarker…
Concernant notre relation client, nous tentons de vivre au plus proche de nos convictions, sur un triptyque : satisfaction, fidélisation et recommandation ! Espérons que le cordonnier ne soit pas trop mal chaussé.
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En quoi la relation client a-t-elle évoluée ces dernières années ? Et quels sont les défis des services clients en 2020 ?
L’irruption des réseaux sociaux a accentué les différences entre les entreprises orientées clients et les autres. Les premières ont exploité cette nouvelle donne comme l’opportunité de doper leur intelligence collective ; les secondes ont répondu en se focalisant sur l’e-réputation, généralement accompagnée d’un merveilleux customer washing.
Aussi, nous avons aujourd’hui des entreprises en capacité de dialoguer assez finement avec leurs clients pour ajuster leurs stratégies et d’autres qui peinent à endiguer des flux de données.
En 2020, comme les années précédentes, le défi majeur de la relation client est probablement culturel ! Rappeler l’importance de la voix du client, mais aussi du collaborateur ; redonner de la vision et du sens à nos actions. J’emprunterais cette parabole à un best-seller : sans cette culture client, nous serions à l’image de fous souhaitant construire leurs maisons sur le sable.
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Quels sont les acteurs de la relation client dans les entreprises ? Le Marketing a-t-il vraiment un rôle croissant en matière de relation client ?
A l’image de Monsieur Jourdain, chaque acteur de l’entreprise devrait être concerné par la relation client. Être orienté client, c’est avoir été mis en capacité de comprendre le sens de son travail, son utilité au service des Autres ; que ces autres soient clients ou parties prenantes de l’entreprise.
A ce titre il me semble naturel que le marketing tende à s’imprégner et à exploiter cette voix du client. Je ne doute pas que nombre d’équipes marketing mettent un point d’honneur à rencontrer directement clients et prospects, à réaliser de la double écoute, à découvrir des modélisations de parcours clients, ou encore à faire des vis ma vie en service client. Si ce n’était le cas, il reste alors beaucoup à faire.
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Quels sont les KPIs à utiliser en 2020 pour améliorer sa satisfaction client ?
Vouloir améliorer la satisfaction client et, par incidence, asseoir la pérennité de son entreprise, c’est se donner les moyens de mieux répondre aux besoins clients.
Cet enjeu étant posé, l’objectif est de se mettre en capacité d’identifier les aspérités, incohérences et frustrations que l’entreprise donne à vivre à ses clients.
Aussi, l’indicateur (im)pertinent me semble être orienté sur la capacité à traquer chaque trace d’insatisfaction client, afin de pouvoir la remonter, l’analyser et donc agir dessus. Dans le management de l’insatisfaction client, il me semble que le Graal est de recueillir un maximum de réclamations en mettant tout en œuvre pour que les situations ayant entraîné ces insatisfactions ne puissent se réitérer.
Par conséquent, se doter d’un indicateur de performance reflétant la capacité à remonter à la surface les réclamations clients serait un bel exercice. Cet exercice permettrait en plus de travailler le volet et enjeu majeur de notre profession : la culture client.
Libérer la remontée des réclamations client constitue en effet un signal fort pour tous les acteurs de l’organisation quant à la volonté de l’entreprise et de ses dirigeants d’aller de l’avant, avec humilité mais aussi détermination. D’autant qu’au bout d’un an de KPI, vous aurez une idée moins erronée du nombre de réclamations exprimées par vos clients.
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Quelles différences en relation client entre PME, ETI et grands groupes ? Ou est-ce plutôt une question de secteur ou de culture d'entreprise ?
Traditionnellement, la relation client est très incarnée dans les petites structures, souvent par le dirigeant ou une personne qui connait la "maison" depuis longtemps. Dans les grands groupes, des équipes sont consacrées à cette mission d’accompagner le client, avec une approche plus professionnalisée. Certains secteurs d’activité sont naturellement plus orientés client, parce que la présence du client y est plus forte qu’ailleurs : c’est le cas notamment du secteur du service.
Cependant, la vraie clé de différenciation des entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur, réside dans la solidité de leur culture client. Cette orientation client doit être inscrite dans l’ADN de l’entreprise, et s’appuie sur une écoute sincère des clients et collaborateurs.
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Comment améliorer le pilotage de sa relation client ? Quelles sont vos recommandations en la matière ?
Le message étant probablement passé, je n’insisterai pas davantage sur la nécessité de muscler sa culture client. Aussi je soumets à votre réflexion quelques points retenus d’échanges avec Christophe Benavent, professeur de Marketing à Paris-Nanterre, sur les KPIs, précieux outils dans la conduite de l’entreprise.
Alors que nous avions sollicité son expertise pour nourrir notre réflexion sur le pilotage de l’activité client, Christophe avait malicieusement intitulé son propos « du cockpit au fétiche ». Tout est dit dans cette seule accroche quant au détournement possible de nos mesures : attention à ne pas en faire une fin en soi car, sinon, ils ne mesureront plus en réalité que la capacité de chacun à détourner le système pour atteindre l’objectif fixé…
Pour éviter ce piège, voici quelques conseils très utiles : l’importance de changer régulièrement de KPIs, mais aussi, contrairement aux idées reçues, de ne pas communiquer dessus en externe. Enfin, pour être en capacité de mesurer l’incidence des décisions prises, le KPI choisi doit être sensible, c'est-à-dire avoir une forte variabilité.
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Pour vous, qu'est-ce qu'une entreprise "mûre" en relation client aujourd’hui ? Et comment définir une entreprise “immature” ?
Comme je viens de l’évoquer, une organisation dont les collaborateurs rivalisent d’idées pour extorquer à tout prix un 9 ou 10 sur un NPS afin de s’assurer un revenu décent mérite un bonnet d’âne et les encouragements du jury.
A contrario, une entreprise qui prépare sincèrement demain avec ses clients et collaborateurs se dote des moyens de réussir. Dans ces mêmes organisations, les équipes disposent de larges compétences, reconnues et développées, pour accompagner les clients avec empathie et efficacité. Le recrutement de ces équipes est souvent réalisé avec ambition et ingéniosité ; les budgets des services clients y sont appréhendés comme des investissements. Si on ne peut réaliser une liste à la Prévert, elles ont aussi en commun une profonde humilité associée à une farouche volonté de préparer demain, de peur de ne pas être à la hauteur de leurs clients et de leurs collaborateurs. Ces organisations brillent par leur cohérence mais aussi par la confiance qu’elles transmettent à leurs clients et collaborateurs.
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De quoi a besoin une entreprise aujourd'hui pour progresser en relation client ? Que peuvent leur apporter des prestataires de solutions et/ou de services ?
Pour progresser, l’entreprise a besoin de faire adhérer l’ensemble des équipes à l’importance que revêt la relation client. Ce qui nécessite de travailler sur une vision, un projet d’entreprise qui embarque réellement le client et donne une impulsion stratégique à l’ensemble des collaborateurs !
S’orienter client, c’est aussi avoir l’audace et l’humilité d’aller à la rencontre de ses clients pour savoir ce qu’ils attendent. De nombreuses pratiques partagées par nos membres sont aussi simples qu’inspirantes : l’organisation de "vis-ma-vie", la pratique de la double écoute à tous les étages de l’entreprise, la rencontre de clients insatisfaits invités à témoigner en frontal, ou encore la remontée de verbatim positifs et négatifs pour ouvrir un Comex... En quelques mots : tout ce qui permet de reconnecter toutes les parties prenantes de l’entreprise à la réalité vécue par le client, et redonner ainsi du sens au job des collaborateurs !
Cette adhésion ne peut se faire si le soin porté aux clients n’est pas identique à celui porté aux collaborateurs, avec le souci d’instaurer une relation de confiance, notamment en leur confiant de réelles marges de manœuvre.
Concernant les partenaires et prestataires de solution, je pense qu’on ne leur donne pas suffisamment le rôle d’agitateur de curiosité. Le regard externe intéressant qu’ils portent sur la relation client et leur vision globale peuvent être stimulants : ce qui est mis en place ailleurs est souvent inspirant – sans tomber dans le simple « copier-coller ». Ils offrent également des outils indispensables aux métiers de la relation client pour mieux répondre, gagner du temps, personnaliser, ou encore exploiter les datas. Mais cette question invite également à l’introspection : suis-je un client avec lequel il est aisé de travailler, de coopérer ? En tant que marque, est-ce que je pose les conditions d’une relation de fournisseur ou de partenaire ? En somme, aimerais-je être mon propre client ? Si oui, mon « fournisseur » pourra alors réellement agir en partenaire, en prenant le risque de me bousculer pour me faire grandir. Si seulement nous pouvions évaluer le prix de la défiance…